Interview de Soizic, formatrice chez Nicéphore

Quel est votre parcours  ?
J’ai pris des chemins variés tout au long de mon parcours pro, mais la photographie a toujours été un fil rouge, qu’on retrouve dans mes différentes expériences. Je l’ai découverte vers 11 ans avec les photos de mode de Ellen Von Unwerth, Paolo Roversi ou Sarah Moon. Je me suis mise à collectionner leurs images, qu’on trouvait surtout dans la presse étrangère, tout mon argent de poche y passait ! Vers 14 ans j’ai commencé à photographier, principalement des portraits, d’amis ou membres de ma famille. À 17 ans, je me suis offert un boitier reflex et tout le matériel pour réaliser mes tirages noir et blanc chez moi, en argentique. J’ai commencé par suivre des cours dans un club-photo pour acquérir quelques bases et après mon bac, je me suis dirigée vers un CAP photo à Rennes. A partir de là, mes expériences pro ont été éclectiques mais la photographie a toujours été au service de celles-ci. J’ai commencé par travailler dans un labo photo professionnel à Paris, puis quelques années plus tard, j’ai ouvert une boutique d’antiquités brocante en Normandie. J’y vendais du mobilier des années 50 à 70, que je restaurais bien souvent et je réalisais les mises en scène et prises de vues du mobilier pour le site de la boutique. Aujourd’hui ma pratique photo a plusieurs facettes : je réalise des images d’architecture d’intérieur pour certains clients, de nature morte pour d’autres, je crée aussi des images pour accompagner les écrits que je produis pour d’autres clients, pour lesquels j’anime réseaux sociaux et blogs. Il y aussi l’enseignement bien sûr, j’ai initié un très jeune public à cette pratique, lors d’ateliers dans des écoles primaires et je l’enseigne à des adultes qui suivent un projet de formation chez Nicéphore.

Comment définiriez-vous votre rôle auprès de vos élèves ?
Je me vois plus comme un guide, un conseiller, je m’adapte au niveau (technique ou regard) et aux aspirations de mes étudiants. En fonction de qui ils sont, de leurs connaissances photo à l’instant T, de leur sensibilité et de leurs buts après cette formation, je les accompagne différemment pour développer tel ou tel aspect de leur pratique photo. De ce fait, ces conseils varient en fonction de l’étudiant(e). J’aime particulièrement, après quelques travaux, déceler quelque chose chez un élève, dans ses images, un style ou un thème qui se dessine et que souvent il n’a pas vu. J’aime leur en faire prendre conscience et les guider pour développer ce chemin particulier qu’ils semblent prendre.

Que vous apporte votre rôle de formatrice ?
J’adore découvrir des regards particuliers, qui s’expriment ici au travers du médium photo et qui sont parfois surprenants. J’aime aussi voir comment sur un sujet donné, chaque élève l’interprète à sa façon et en donne sa propre vision. J’aime transmettre, et surtout aider l’étudiant à prendre conscience de ce qui est son point fort et tenter de l’emmener plus loin là-dessus. Certains font parfois des progrès ahurissants en seulement quelques travaux et j’aime être témoin de ce tournant, de cette progression du regard. Je crois que ce qui me plait le plus, c’est quand un élève m’épate et qu’en regardant ses images je me dis « Ça c’est super, c’est une photo que je pourrais accrocher chez moi ».

Quelles qualités sont essentielles selon vous pour exercer le métier de photographe ?
Ce serait difficile d’en dresser une liste exhaustive. Il faut être curieux et passionné, mais aussi organisé et méticuleux. Regarder le travail des autres photographes pour enrichir son regard est aussi essentiel pour moi. D’un point de vue culture certes, mais surtout en tant que nourriture pour les yeux et l’esprit. Si on est passionné cela se fait naturellement. Plus on voit d’images et plus on en fait, plus le regard s’affine. En face d’un client, il faudra savoir respecter ses envies, son image tout en apportant vos idées et votre style.

Quelle expérience photographique vous a laissé un souvenir mémorable ?
Tout dépend de ce qu’on entend par mémorable ! Pour le « bon souvenir » je dirais ma collaboration avec le photographe Marc Lagrange, dont j’admirais beaucoup le travail. Il avait découvert mes séries d’autoportraits et m’a proposé de jouer un de ses personnages pour figurer dans son projet de livre, pour lequel tous les modèles interprétaient des clients d’un mystérieux hôtel. Je n’étais donc pas photographe sur ce projet mais ce sont nos pratiques photo qui nous ont réunis. Pour le « mauvais souvenir », sans doute la fois où j’avais pour mission de réaliser des portraits de 3 associés d’une entreprise de design. Les pires conditions étaient réunies : prise de vue en extérieur par zéro degrés, ciel gris, pas de lumière, ça s’annonçait déjà mal. Et c’est à ce moment là que mon boitier est tombé en panne, impossible de réaliser la moindre image ! On a reporté la séance à une autre fois, mais j’ai été très mal à l’aise face au client.

Pouvez-vous nous montrer une de vos commandes client ou un travail personnel et le commenter en quelques lignes ?
Voici un extrait de deux série en cours :
« A Color Story » est une série où les images sont des cadrages de fragments colorés sur des façades de bâtiments, prises lors de mes balades dans les rues. Parfois, je tombe dessus par hasard alors que je ne suis pas particulièrement en recherche. A d’autres moments, la quête est prévue et je décide de déambuler au hasard dans un quartier inconnu pour les débusquer. J’adore le graphisme, la recherche sur les lignes, couleurs, formes, matériaux, et cette série me permet de répondre à cette lubie. Je suis particulièrement attachée à la notion de petits détails  qui nous entourent, ceux devant lesquels on passe sans s’arrêter, ni même les remarquer faute de véritable attention. Je pense qu’une multitude de petites choses, à priori anecdotiques, recèlent un intérêt visuel si on prend le temps de s’arrêter dessus. La série complète, toujours en cours, est visible sur un compte Instagram que j’y consacre : @pocketparis

Voici une autre série, « Leaf », commencée à l’automne dernier et que je poursuivrai sans doute à l’automne prochain. J’ai ramassé des feuilles mortes de couleur jaune, d’espèces et de formes variées, que j’ai fait sécher à plat dans des livres. J’avais envie de marier cette texture fragile, jolie et morte, à une autre matière fine et fragile mais cette fois vivante. J’ai choisi de les marier à la texture de la peau d’un enfant, en l’occurrence ma fille, qui aime participer à mes séances photos et a souvent de bonnes idées à suggérer !

Selon vous, quels sont les facteurs de réussite pour un élève qui entreprend une formation à distance ?
Quelques points jouent un rôle primordial dans la réussite de leur formation et surtout, dans leur progression en terme de regard et de technique. Certains sont évidents, comme réaliser le plus d’images possible et ne pas se contenter de faire les photos demandées pour les travaux du classeur. Pratiquer un maximum au travers de séries personnelles qui ne seront pas soumises à notation ou avis du formateur est essentiel, car c’est en faisant que l’on apprend le plus.

Il y a aussi le fait d’être curieux et ouvert sur le travail des autres, de « consommer des images ». C’est un aspect important pour affiner son regard, ça passe par la visite d’expos, qu’elles portent sur la photo, la peinture, le graphisme ou par le cinéma ! C’est de l’image en mouvement mais il y a un directeur de la photo dans l’équipe de tournage, un cadreur, une équipe d’éclairagistes, puis le même travail de post-prod, qu’on appelle l’étalonnage, qui intervient sur les couleurs, les contrastes, le grain. Qu’ils pensent aussi à la lecture de bonnes revues photographiques (Polka, Fisheye, L’Oeil de la Photographie) qui permettent d’avoir facilement accès à ce qui se fait aujourd’hui et donc, de faire évoluer leur regard en même temps que notre époque. Tout cela viendra les aider à parfaire leur sens du cadrage, de la composition, leur approche de la couleur, ou à développer leur style.

Un autre point concerne la communication avec leur formateur. J’ai remarqué qu’en général, les étudiant(e)s qui progressent le plus et le plus vite, son ceux qui sont en contact régulier avec moi : pour échanger sur des idées de série qu’ils ont, discuter en amont d’un travail à effectuer afin de mieux cerner ce qui est attendu, comprendre ce qui n’a pas fonctionné sur telle ou telle précédente série. Plus on échange, plus la photo occupe une place de choix dans leurs vies. Certains, qui ont commencé la formation parce qu’ils aimaient « bien » la photo, sont devenus en quelques mois de vrais passionnés, au fur et à mesure de nos échanges et des travaux réalisés ! Il faut aussi accepter de se remettre en question et ne pas rester bloqué sur des remarques du formateur. Elles sont là pour les aider à progresser, leur faire prendre conscience des points à améliorer, et toujours faites dans une logique de conseil pour les emmener plus loin.