Conseils artistiques : construire une nature morte

La nature morte est un exercice photographique à part entière, qui fait l’objet du travail N°6 de la formation de l’institut Nicéphore. Dans ce travail, on demande aux étudiants de réaliser des natures mortes en mariant dans leurs compositions une couleur dominante, qui va donc occuper une plus grande proportion dans le cadre, et une note d’une autre couleur, qu’on appelle la « tonique ».

Jusqu’ici rien de très compliqué semble-t’il. Cependant, une nature morte réussie, c’est une nature morte réfléchie, construite. Certaines associations fonctionnent, d’autres pas. Certains mariages de teintes sont très harmonieux, d’autres moins. Il faut penser aux contrastes de textures, de couleurs, de matières, aux variations de tailles, de formes. Il convient aussi de trouver comment tirer parti de la lumière. Puis, il est nécessaire de tester différents emplacements pour créer une harmonie entre les éléments et tenter également des angles de prises de vue et des cadrages variés pour trouver ceux qui fonctionnent, c’est à dire ceux qui produiront une image attractive, esthétique, et bien composée (règle des tiers on pense à toi !). Lorsqu’on s’essaye pour la première fois à la nature morte, on réalise rapidement que cette discipline demande de la recherche et qu’obtenir une bonne image implique de creuser son sujet. Voici quelques conseils pour se poser les bonnes questions pendant la prise de vue. J’ai réalisé ce cas pratique avec des poires, les fruits ou légumes étant très largement utilisés par nos étudiants pour ce travail.

Voici une première image. Certes, c’est bien une nature morte avec un contraste entre la couleur dominante (marron), et la tonique (verte). On y voit également un contraste de textures entre la peau des fruits, le kraft du sac en papier, et le bois du parquet. La composition est correcte, respectant la règle des tiers. Mais honnêtement, est-ce que cette image vous attire ? La trouvez-vous esthétique ? Est-ce qu’une ambiance spéciale vous retient ? Moi, non ! Je la trouve anecdotique, c’est une photo de poires…et c’est tout. Avant toute chose, pour une nature morte, on pense à la toile de fond, au décor qui va servir d’écrin aux produits. On peut faire nettement mieux que le sac en kraft dans lequel le primeur a mis les fruits ! Le kraft est une matière intéressante certes, mais cela donne le sentiment que je suis rentrée chez moi, que j’ai ouvert le sac et que je l’ai posé sur mon parquet pour prendre une photo sans trop me poser de questions…et c’est exactement ça  ! Le résultat est donc à la hauteur de mes efforts : insuffisant.
Pour les natures mortes, j’utilise souvent des feuilles de papier type Canson, dans différentes teintes, je choisis des feuilles mates, légèrement texturées pour éviter les brillances. Voici mon installation : un plateau sur des tréteaux, une autre planche placée à la verticale pour le fond (maintenue à l’arrière contre un mur ou une pile de livres), et la feuille Canson est tout simplement scotchée sur les 2 plateaux comme ci-dessous :

Je place une poire devant. En termes de style, c’est déjà moins bâclé que mon sac en kraft à même le sol.

Maintenant, c’est la lumière qui ne me satisfait pas totalement. J’ai placé mon mini studio à coté d’une fenêtre, située à droite hors champ, j’ai donc une lumière latérale, mais qui manque de punch car il fait gris dehors. Je place donc un réflecteur à gauche pour déboucher les ombres.

Ici, le réflecteur est un morceau de carton recouvert de papier aluminium, qui a un fort pouvoir réfléchissant. Il fait vraiment gris dehors, j’ai besoin de beaucoup de lumière mais les réflecteurs en aluminium peuvent parfois être trop violents et apporter des reflets ou des brillances trop prononcés. Vous pouvez l’utiliser dans des situations très sombres, sinon préférez un réflecteur blanc plus doux (plaque de PVC, feuille Canson blanche etc).

C’est déjà un peu mieux, il y a plus de vie question lumière et les ombres fortes coté gauche ont été débouchées, elles sont toujours là pour apporter un peu de modelé dans l’image, mais elles sont plus douces. Désormais la lumière me plait, je constate qu’un fond uni met en valeur le produit, il va falloir commencer à chercher une composition harmonieuse dans le placement des fruits, à la fois les uns par rapport aux autres, mais aussi leur positionnement dans mon cadrage. Entre temps, je décide finalement de changer de fond, car le bleu-vert de celui-ci me paraît trop proche du vert des poires en termes de gamme de couleurs. Je veux un résultat plus tranché. Et oui, la nature morte, consiste aussi à tâtonner, à changer d’avis sur le stylisme, les accessoires, les couleurs.

Un fond rose offre un contraste de couleurs plus intéressant par rapport à ce que je recherche. La composition reste toutefois très basique et classique, 3 poires alignées, la mise au point sur celle du centre, les autres dans le flou de profondeur de champ, c’est correct mais cela reste très timide. Il manque selon moi un autre élément, qui apporterait un nouveau contraste de couleur mais aussi une nouvelle texture. De plus, introduire un effet de hauteurs différentes entre les fruits, plutôt que les placer tous sur le même plan, serait bienvenu pour dynamiser la composition.
Je porte mon choix sur cette tasse et sa soucoupe, avec des motifs géométriques simples, des lignes strictes qui trancheront avec la rondeur des fruits. Le vert sombre apportera un contraste avec les teintes pastels, et cette vaisselle étant d’une matière plus dure et brute, elle contrastera aussi avec l’aspect délicat de la peau des fruits et la fine texture de la feuille Canson.

En posant une poire sur la tasse retournée, j’introduis cette notion de hauteur qui me manquait. Une autre est posée dans la soucoupe, et une autre est placée en équilibre sur 2 fruits, de façon à se trouver à mi-hauteur. Quant à mon cadrage, il est pensé avec la règle des tiers :

L’image me plait, je vais maintenant tester un post-traitement juste pour voir ce que cela donne avec une autre ambiance de teintes un peu plus chaudes:

Et ce n’est que le début du travail ! Une nature morte c’est aussi prendre le temps de tester de nouvelles compositions, en intégrant des éléments différents dans le cadre pour jouer sur les textures et couleurs, voire même, essayer d’autres retouches en post-production pour comparer des atmosphères différentes.

Ci-dessus, une autre mise en scène dans laquelle j’ai ajouté de fines tranches de poires coupées et rôties au four (et oui parfois en photo culinaire on doit cuisiner !). A la place de la tasse et de la soucoupe, je choisis cette fois un verre d’eau pour jouer avec les reflets, brillances et déformations que le verre produit. Enfin, un autre type de retouches a été envisagé, pour un style plus lumineux et froid cette fois. J’ai désormais 2 images qui me plaisent, que je peux comparer pour voir dans quelle direction j’ai envie d’aller. Une fois mon choix fait, je pourrai envisager une série complète et partir sur une base cohérente en termes de style, d’ambiance, d’harmonies de couleurs, de retouches etc.
Conclusion : une nature morte, ce n’est pas juste un sac de courses rempli de fruits posé sur le parquet. C’est un processus créatif dans lequel vous allez tester des idées, en garder certaines, en abandonner d’autres. Une démarche au cours de laquelle vous allez prendre le temps de déplacer vos objets pour trouver la composition qui sera la plus harmonieuse.

Quelques conseils à adopter pour réussir vos natures mortes :

  • Envisagez un fond qui composera un arrière-plan simple, qui ne soulignera que mieux votre sujet.
  • Vérifiez si la lumière flatte votre produit et sa texture. Si ce n’est pas le cas, placez-vous près d’une fenêtre ou tout autre lieu où la lumière est jolie. Pensez aussi aux réflecteurs pour déboucher les ombres.
  • Prenez quelques minutes en cours de séance pour tester une autre mise en scène, inclure un nouvel élément, en ôter un autre, choisir un autre fond, expérimenter plusieurs styles de vaisselle ou d’accessoires.
  • Commencez par une mise en scène épurée et ajoutez au fur et à mesure d’autres éléments dans votre composition (une cuillère, une fleur coupée, un biscuit émietté), tout en prenant garde de ne pas tomber dans un décor trop chargé.
  • Gardez en mémoire qu’un élément principal doit être votre sujet et qu’il faut le mettre en valeur, à la fois à travers la place que vous lui accordez dans le cadre, mais aussi via vos choix d’angle et de cadrage qui doivent le mettre en avant.
  • Souvenez-vous que tout le reste n’est là qu’en guise d’éléments secondaires pour parfaire le décor mais surtout pas pour voler la vedette à votre sujet principal.
  • Jouez sur les variations et les contrastes de couleurs, formes, taille, textures, hauteur, matières.
  • Cherchez des cadrages, des angles de prise de vue et des compositions qui fonctionnent, qui font prendre des chemins au regard du spectateur. Cela implique de tourner autour de votre sujet, de vous déplacer, de les regarder au travers de votre objectif sous toutes les coutures. Gardez en mémoire que la règle des tiers sera une précieuse alliée pour y parvenir.
  • Enfin amusez-vous ! Prenez du plaisir à expérimenter et à découvrir cette discipline particulière que vous n’aviez sans doute jamais testée avant !

Toutes les images ont été réalisées par Soizic MENUT, Formatrice chez Nicéphore.